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PATRIMOINE

Lorsque René Lalique, affaibli par l’âge, s’éteint le 1 er mai 1945, Marc devient l’unique propriétaire de la Maison. En effet, sa sœur Suzanne, qui avait hérité de 50 % de l’affaire, lui cède ses parts pour l’aider à surmonter les difficultés. Pour la première fois, Marc peut imposer pleinement sa vision, aussi bien en matière de création que de stratégie commerciale. Il décide de remplacer le verre par le cristal, un matériau qui correspond mieux à ses aspirations artistiques. Cette transition prendra toutefois plusieurs années, puisqu’il faut commander, petit à petit, de nouveaux fours et machines. Il faut aussi recruter des ouvriers qualifiés, capables de maîtriser les techniques propres à la production du cristal, différentes de celles du verre. Les anciens modèles, dont les moules existent toujours, seront dorénavant produits en cristal. La verrerie s’est transformée en cristallerie, baptisée Cristal Lalique et, puisque René a disparu, les objets sont signés « Lalique France ».

MARC EXPRIME SON SENS PRATIQUE EN CRÉANT DES MODÈLES DE VERRES DE TABLE, LES OBJETS LES PLUS PRISÉS SUR LE MARCHÉ À L’ÉPOQUE. EN 1935, IL CRÉE LA TABLE EN VERRE CACTUS , UN MODÈLE D’EXCEPTION QUI RENCONTRE TOUJOURS UN GRAND SUCCÈS AUJOURD’HUI.

À la fin des années 1920, l’usine, devenue la Verrerie Lalique, s’est considérablement agrandie, et compte alors plus de 150 ouvriers et un outillage beaucoup plus fourni. Malheureusement, le krach boursier de Wall Street, survenu à New York le 24 octobre 1929, entraîne l’effondrement de l’économie américaine, déclenchant une réaction en chaîne qui provoque rapidement la chute de l’économie mondiale. Cet événement imprévu déstabilise également la production Lalique, lorsque toutes les commandes destinées aux fêtes de fin d’année sont brutalement annulées. Comme tous les industriels, René Lalique s’efforce désespérément de maintenir son usine à flot, malgré le licenciement de la quasi-totalité des ouvriers. Les années suivantes sont difficiles, mais vers la fin de la décennie, un renouveau d’expansion s’amorce. Toujours

à l’affût des nouvelles tendances, Marc exprime son sens pratique en créant des modèles de verres de table, les objets les plus prisés sur le marché à l’époque. En 1935, il crée la table en verre Cactus , un modèle d’exception qui rencontre toujours un grand succès aujourd’hui. Rapidement, la production s’étend à toutes sortes d’objets, y compris les flacons de parfum, profitant de l’essor de la parfumerie française. Parallèlement, il loue le magasin du 11 rue Royale, haut temple du luxe depuis le xix e siècle, puisqu’il fut d’abord la boutique de la parfumerie Lubin, fournisseur attitré des cours royales d’Europe. Et puis survient la guerre – un autre désastre économique. De plus, la verrerie se trouve en position délicate, située en plein cœur du champ de bataille. Elle sera gravement endommagée, et de nombreux ouvriers mobilisés ne reviendront plus.

Marc a un ami d’enfance, Robert Ricci, fils de Nina Ricci, fondatrice de la maison de couture éponyme. Ils se sont connus à l’École des Roches, où ils ont noué un lien d’amitié indéfectible. Robert dirige l’affaire, car Nina s’occupe uniquement de la création, et lorsque le premier parfum de Nina Ricci, Cœur Joie , est conçu en 1945, c’est tout naturellement que Robert se tourne vers Lalique pour la production du flacon en forme de cœur. En 1948, Nina Ricci lance un nouveau parfum, L’Air du Temps . Pour son introduction, le parfum, teinté de jaune pour symboliser le soleil et la joie, est contenu dans un flacon ovale, tel un soleil qui darde ses rayons. En 1951, un nouveau flacon est créé, couronné d’un majestueux bouchon à l’effigie de deux colombes s’embrassant en vol, tandis que la forme torsadée du flacon simule un tourbillon d’air. Une première édition limitée de grand luxe présente ce flacon dans une cage en soie jaune plissée, réalisée

à la main dans les ateliers de couture. La cage s’ouvre par une porte à deux battants et peut être illuminée de l’intérieur grâce à une minuscule ampoule dissimulée. Un autre coffret, en forme de cube en soie jaune, abrite le même flacon, mais il a été conçu pour être vendu à un prix plus accessible. Ce modèle sera commercialisé en très grand nombre pendant plusieurs décennies. Le nom du parfum, L’Air du Temps , reflète parfaitement l’identité de sa fragrance, jeune, fraîche et légère, en parfaite harmonie avec l’esprit de son époque, ce qui explique son succès immédiat et retentissant. Et pour être réussie, la présentation physique d’un parfum se doit d’être l’expression visuelle du nom qu’il porte, un défi particulièrement intéressant lorsque celui-ci revêt une dimension abstraite.

Page suivante, de haut en bas : Nina Ricci, L ′ Air du Temps , première version de 1948 Graphisme du coffret inspiré des bas-reliefs en plâtre d′Alberto et Diego Giacometti © Collection Christie Mayer Lefkowith Nina Ricci, Coeur Joie , modèle créé en 1945 Graphisme du coffret de Christian Bérard édition limitée de luxe © Collection Christie Mayer Lefkowith Nina Ricci, L ′ Air du Temps , seconde version de 1951 Coffret en soie de luxe réalisé en édition limitée dans les ateliers de couture, graphisme de la boîte extérieure de René Bouché © Collection Christie Mayer Lefkowith

De haut en bas : Verre Ange , modèle créé en 1948 par Marc Lalique © Studio Y. Langlois Table Cactus créée en 1951 par Marc Lalique

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